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avant d’être roi, et, à cette époque, la liberté parlait à son cœur, l’égalité à sa raison. Cependant nous avons entouré son initiation d’hommes habiles et prudents, qui ne lui ont pas livré les secrets de la doctrine. Combien n’eût-on pas eu à s’en repentir ! À l’heure qu’il est, Frédéric soupçonne, surveille et persécute un autre rite maçonnique qui s’est établi à Berlin, en concurrence de la loge qu’il préside, et d’autres sociétés secrètes à la tête desquelles le prince Henri, son frère, s’est placé avec ardeur. Et cependant le prince Henri n’est et ne sera jamais, non plus que l’abbesse de Quedlimbourg, qu’un initié du second degré. Nous connaissons les princes, Consuelo, et nous savons qu’il ne faut jamais compter entièrement sur eux, ni sur leurs courtisans. Le frère et la sœur de Frédéric souffrent de sa tyrannie et la maudissent. Ils conspireraient volontiers contre elle, mais à leur profit. Malgré les éminentes qualités de ces deux princes, nous ne remettrons jamais dans leurs mains les rênes de notre entreprise. Ils conspirent en effet, mais ils ne savent pas à quelle œuvre terrible ils prêtent l’appui de leur nom, de leur fortune et de leur crédit. Ils s’imaginent travailler seulement à diminuer l’autorité de leur maître, et à paralyser les envahissements de son ambition. La princesse Amélie porte même dans son zèle une sorte d’enthousiasme républicain, et elle n’est pas la seule tête couronnée qu’un certain rêve de grandeur antique et de révolution philosophique ait agitée dans ces temps-ci. Tous les petits souverains de l’Allemagne ont appris le Télémaque de Fénelon par cœur dès leur enfance, et aujourd’hui ils se nourrissent de Montesquieu, de Voltaire et d’Helvétius : mais ils ne vont guère au-delà d’un certain idéal de gouvernement aristocratique, sagement pondéré, où ils auraient, de droit, les premières places. Tu peux juger de leur logique