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qu’il avait eu de plus cher au monde avant de me connaître, en même temps qu’il s’accusait de je ne sais quel crime, me fit venir une sueur froide. Je me crus certaine que Zdenko était enseveli en ce lieu, et je m’enfuis de la grotte en criant comme une folle et en pleurant comme un enfant.

— Il y avait bien de quoi, dit madame de Kleist, et j’y serais morte de peur. Un amant comme votre Albert ne m’eût pas convenu le moins du monde. Le digne M. de Kleist croyait au diable, et lui faisait des sacrifices. C’est lui qui m’a rendue poltronne comme je le suis ; si je n’avais pris le parti de divorcer, je crois qu’il m’aurait rendue folle.

— Tu en as de beaux restes, dit la princesse Amélie. Je crois que tu as divorcé un peu trop tard. Mais n’interromps pas notre comtesse de Rudolstadt.

— En rentrant au château avec Albert, qui me suivait sans songer à se justifier de mes soupçons, j’y trouvai, devinez qui, madame ?

— Anzoleto !

— Il s’était présenté comme mon frère, il m’attendait. Je ne sais comment il avait appris en continuant sa route, que je demeurais là, et que j’allais épouser Albert ; car on le disait dans le pays avant qu’il y eût rien de conclu à cet égard. Soit dépit, soit un reste d’amour, soit amour du mal, il était revenu sur ses pas, avec l’intention soudaine de faire manquer ce mariage, et de m’enlever au comte. Il mit tout en œuvre pour y parvenir, prières, larmes, séductions, menaces. J’étais inébranlable en apparence : mais au fond de mon lâche cœur, j’étais troublée, et je ne me sentais plus maîtresse de moi-même. À la faveur du mensonge qui lui avait servi à s’introduire, et que je n’osai pas démentir, quoique je n’eusse jamais parlé à Albert de ce frère que je n’ai jamais eu, il resta