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car il paraissait en avoir des remords. Peut-être croyait-il qu’en le quittant, Zdenko s’était suicidé ; du moins il parlait de lui dans des termes énigmatiques, et avec des réticences mystérieuses qui me faisaient frémir. Je m’imaginais (que Dieu me pardonne cette pensée !) que, dans un accès d’égarement, Albert, ne pouvant faire renoncer ce malheureux au projet de m’ôter la vie, la lui avait ôtée à lui-même.

— Et pourquoi ce Zdenko te haïssait-il de la sorte ?

— C’était une suite de sa démence. Il prétendait avoir rêvé que je tuais son maître et que je dansais ensuite sur sa tombe. Ô madame ! cette sinistre prédiction s’est accomplie. Mon amour a tué Albert, et huit jours après je débutais ici dans un opéra bouffe des plus gais ; j’y étais forcée, il est vrai, et j’avais la mort dans l’âme ; mais le sombre destin d’Albert s’était accompli, conformément aux terribles pronostics de Zdenko.

— Ma foi, ton histoire est si diabolique, que je commence à ne plus savoir où j’en suis, et à perdre l’esprit en t’écoutant. Mais continue. Tout cela va s’expliquer sans doute ?

— Non, madame ; ce monde fantastique qu’Albert et Zdenko portaient dans leurs âmes mystérieuses ne m’a jamais été expliqué, et il faudra, comme moi, vous contenter d’en comprendre les résultats.

— Allons ! M. de Rudolstadt n’avait pas tué son pauvre bouffon, au moins ?

— Zdenko n’était pas pour lui un bouffon, mais un compagnon de malheur, un ami, un serviteur dévoué. Il le pleurait ; mais, grâce au ciel, il n’avait jamais eu la pensée de l’immoler à son amour pour moi. Cependant, moi, folle et coupable, je me persuadai que ce meurtre avait été consommé. Une tombe fraîchement remuée qui était dans la grotte, et qu’Albert m’avoua renfermer ce