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vrir le lieu de sa retraite. J’y parvins avec beaucoup de peine et de dangers. Je descendis dans cette citerne, qui se trouvait dans ses jardins, et par laquelle j’avais vu, une nuit, sortir Zdenko à la dérobée. Ne sachant pas me diriger dans ces abîmes, je faillis y perdre la vie. Enfin je trouvai Albert ; je réussis à dissiper la torpeur douloureuse où il était plongé ; je le ramenai à ses parents, et je lui fis jurer qu’il ne retournerait jamais sans moi dans la fatale caverne. Il céda ; mais il me prédit que c’était le condamner à mort ; et sa prédiction ne s’est que trop réalisée !

— Comment cela ? C’était le rendre à la vie, au contraire.

— Non, madame, à moins que je ne parvinsse à l’aimer, et à n’être jamais pour lui une cause de douleur.

— Quoi ! tu ne l’aimais pas ? tu descendais dans un puits, tu risquais ta vie dans ce voyage souterrain…

— Où Zdenko l’insensé, ne comprenant pas mon dessein, et jaloux, comme un chien fidèle et stupide, de la sécurité de son maître, faillit m’assassiner. Un torrent faillit m’engloutir. Albert, ne me reconnaissant pas d’abord, faillit me faire partager sa folie, car la frayeur et l’émotion rendent les hallucinations contagieuses… Enfin, il fut repris d’un accès de délire en me ramenant dans le souterrain, et manqua m’y abandonner en me fermant l’issue… Et je m’exposai à tout cela sans aimer Albert.

— Alors tu avais fait un voeu à Maria del Consuelo pour opérer sa délivrance ?

— Quelque chose comme cela, en effet, répondit la Porporina avec un triste sourire ; un mouvement de tendre pitié pour sa famille, de sympathie profonde pour lui, peut-être un attrait romanesque, de l’amitié sincère à coup sûr, mais pas l’apparence d’amour, du moins rien