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le château des Géants, où je fus généreusement accueillie par la famille des Rudolstadt.

— Et pourquoi allais-tu dans cette famille ? demanda la princesse, qui écoutait avec beaucoup d’attention : se souvenait-on de t’y avoir vue enfant ?

— Nullement. Je ne m’en souvenais pas moi-même, et ce n’est que longtemps après, et par hasard, que le comte Albert retrouva et m’aida à retrouver le souvenir de cette petite aventure ; mais mon maître le Porpora avait été fort lié en Allemagne avec le respectable Christian de Rudolstadt, chef de la famille. La jeune baronne Amélie, nièce de ce dernier, demandait une gouvernante, c’est-à-dire une demoiselle de compagnie qui fît semblant de lui enseigner la musique, et qui la désennuyât de la vie austère et triste qu’on menait à Riesenburg[1]. Ses nobles et bons parents m’accueillirent comme une amie, presque comme une parente. Je n’enseignai rien, malgré mon bon vouloir, à ma jolie et capricieuse élève, et…

— Et le comte Albert devint amoureux de toi, comme cela devait arriver ?

— Hélas ! madame, je ne saurais parler légèrement d’une chose si grave et si douloureuse. Le comte Albert, qui passait pour fou, et qui unissait à une âme sublime, à un génie enthousiaste, des bizarreries étranges, une maladie de l’imagination tout à fait inexplicable…

— Supperville m’a raconté tout cela, sans y croire et sans me le faire comprendre. On attribuait à ce jeune homme des facultés supernaturelles, le don des prophéties, la seconde vue, le pouvoir de se rendre invisible… Sa famille racontait là-dessus des choses inouïes… Mais tout cela est impossible, et j’espère que tu n’y ajoutes pas foi ?

— Épargnez-moi, madame, la souffrance et l’embarras

  1. Château des Géants, en allemand.