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mademoiselle, et bien digne d’une personne de votre mérite. Mais vous avez été très-émue, et je vois que vous pouvez à peine vous soutenir. Permettez-moi de vous reconduire. »

En arrivant chez elle, la Porporina se mit au lit, et y resta plusieurs jours, tourmentée par la fièvre et par une agitation nerveuse extraordinaire. Au bout de ce temps, elle reçut un billet de madame de Kleist qui l’engageait à venir faire de la musique chez elle, à huit heures du soir. Cette musique n’était qu’un prétexte pour la conduire furtivement au palais. Elles pénétrèrent, par des passages dérobés, chez la princesse, qu’elles trouvèrent dans une charmante parure, quoique son appartement fût à peine éclairé, et toutes les personnes attachées à son service congédiées pour ce soir-là, sous prétexte d’indisposition. Elle reçut la cantatrice avec mille caresses ; et, passant familièrement son bras sous le sien, elle la conduisit à une jolie petite pièce en rotonde, éclairée de cinquante bougies, et dans laquelle était servi un souper friand avec un luxe de bon goût. Le rococo français n’avait pas encore fait irruption à la cour de Prusse. On affichait d’ailleurs, à cette époque, un souverain mépris pour la cour de France, et on s’en tenait à imiter les traditions du siècle de Louis XIV, pour lequel Frédéric, secrètement préoccupé de singer le grand roi, professait une admiration sans bornes. Cependant, la princesse Amélie était parée dans le dernier goût, et, pour être plus chastement ornée que madame de Pompadour n’avait coutume de l’être, elle n’en était pas moins brillante. Madame de Kleist avait revêtu aussi ses plus aimables atours ; et pourtant il n’y avait que trois couverts, et pas un seul domestique.

« Vous êtes ébahie de notre petite fête, dit la princesse en riant. Eh bien, vous le serez davantage quand