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— Au nom du ciel, monsieur, dites-moi quel est cet homme ?

— Eh mais, c’est Trismégiste, le sorcier de la princesse Amélie ! un de ces charlatans qui font le métier de prédire l’avenir et de révéler les trésors cachés, de faire de l’or, et mille autres talents de société qui ont été fort de mode ici avant le glorieux règne de Frédéric le Grand. Vous n’êtes pas sans avoir entendu dire, signora, que l’abbesse de Quedlimburg conserve le goût…

— Oui, oui, monsieur, je sais qu’elle étudie la cabale, par curiosité sans doute…

— Oh ! certainement. Comment supposer qu’une princesse si éclairée, si instruite, s’occupe sérieusement de pareilles extravagances ?

— Enfin, monsieur, vous connaissez cet homme !

— Oh ! depuis longtemps ; il y a bien quatre ans qu’on le voit paraître ici au moins une fois tous les six ou huit mois. Comme il est fort paisible et ne se mêle point d’intrigues, Sa Majesté, qui ne veut priver sa sœur chérie d’aucun divertissement innocent, tolère sa présence dans la ville et même son entrée libre dans le palais. Il n’en abuse pas, et n’exerce sa prétendue science dans ce pays-ci qu’auprès de Son Altesse. M. de Golowkin le protège et répond de lui. Voilà tout ce que je puis vous en dire ; mais en quoi cela peut-il vous intéresser si vivement, mademoiselle ?

— Cela ne m’intéresse nullement, monsieur, je vous assure ; et pour que vous ne me croyiez pas folle, je dois vous dire que cet homme m’a semblé avoir, c’est sans doute une illusion, une ressemblance frappante avec une personne qui m’a été chère, et qui me l’est encore ; car la mort ne brise pas les liens de l’affection, n’est-il pas vrai, monsieur ?

— C’est un noble sentiment que vous exprimez là,