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insurrection des Hussites au quinzième siècle. On prétend qu’il avait légué cette dépouille sacrée à ses compagnons d’armes, leur promettant que là où elle serait, là serait aussi la victoire. Les Bohémiens prétendent que le son de ce redoutable tambour mettait en fuite leurs ennemis, qu’il évoquait les ombres de leurs chefs morts en combattant pour la sainte cause, et mille autres merveilles… Mais outre que, dans le brillant siècle de raison où nous avons le bonheur de vivre, de semblables superstitions ne méritent que le mépris, M. Lenfant, prédicateur de Sa Majesté la reine-mère, et auteur d’une recommandable histoire des Hussites, affirme que Jean Ziska a été enterré avec sa peau, et que par conséquent… Il me semble, mademoiselle, que vous pâlissez… Seriez-vous souffrante, ou la vue de cet objet bizarre vous causerait-elle du dégoût ? Ce Ziska était un grand scélérat et un rebelle bien féroce…

— C’est possible, monsieur, répondit la Porporina ; mais j’ai habité la Bohême, et j’y ai entendu dire que c’était un bien grand homme ; son souvenir y est encore aussi vivant que celui de Louis XIV peut l’être en France, et on l’y considère comme le sauveur de sa patrie.

— Hélas ! c’est une patrie bien mal sauvée, répondit en souriant M. Stoss, et j’aurais beau faire résonner la poitrine sonore de son libérateur, je ne ferais pas même apparaître son ombre honteusement captive dans le palais du vainqueur de ses descendants. »

En partant ainsi, d’un ton pédant, le recommandable M. Stoss promena ses doigts sur le tambour, qui rendit un son mat et sinistre, comme celui que produisent ces instruments voilés de deuil, lorsqu’on les bat sourdement dans les marches funèbres. Mais le savant conservateur fut brusquement interrompu dans ce divertis-