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— Grand bien lui fasse ! dit Amélie froidement. Si c’est un homme déshonoré, je lui conseille pourtant de l’oublier. Maintenant, je vous souhaite le bonjour, Mademoiselle, car je me sens très-fatiguée. Je vous prie de vouloir bien revenir dans quelques jours pour m’aider à lire cette partition, elle me paraît fort belle.

— Vous avez donc repris goût à la musique ? dit le roi. J’ai cru que vous l’aviez abandonnée tout à fait.

— Je veux essayer de m’y remettre, et j’espère, mon frère, que vous voudrez bien venir m’aider. On dit que vous avez fait de grands progrès, et maintenant vous me donnerez des leçons.

— Nous en prendrons tous deux de la signora. Je vous l’amènerai.

— C’est cela. Vous me ferez grand plaisir. »

Madame de Kleist reconduisit la Porporina jusqu’à l’antichambre, et celle-ci se trouva bientôt seule dans de longs corridors, ne sachant trop par où se diriger pour sortir du palais, et ne se rappelant guère par où elle avait passé pour venir jusque-là.

La maison du roi étant montée avec la plus stricte économie, pour ne pas dire plus, on rencontrait peu de laquais dans l’intérieur du château. La Porporina n’en trouva pas un seul de qui elle pût se renseigner, et se mit à errer à l’aventure dans ce triste et vaste manoir.

Préoccupée de ce qui venait de se passer, brisée de fatigue, à jeun depuis la veille, la Porporina se sentait la tête très-affaiblie ; et, comme il arrive quelquefois en pareil cas, une excitation maladive soutenait encore sa force physique. Elle marchait au hasard, plus vite qu’elle n’eût fait en état de santé ; et poursuivie par une idée toute personnelle, qui depuis la veille la tourmentait étrangement, elle oublia complètement en quel lieu elle se trouvait, s’égara, traversa des galeries, des