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tout d’un coup, se rappelant qu’il était venu là, non pour se distraire de ses soucis, mais pour pénétrer les secrets de l’abbesse de Quedlimburg, il ôta son chapeau tout à fait, d’un mouvement brusque et chagrin ; le sourire expira sur ses lèvres, son front se rembrunit, et il se leva en disant à la jeune fille :

« Restez ici, je viendrai vous y reprendre. »

Et il passa dans la chambre de la princesse, qui l’attendait en tremblant. Madame de Kleist, l’ayant vu causer avec la Porporina, n’avait osé bouger d’auprès du lit de sa maîtresse. Elle avait fait de vains efforts pour entendre cet entretien ; et, n’en pouvant saisir un mot à cause de la grandeur des appartements, elle était plus morte que vive.

De son côté, la Porporina frémit de ce qui allait se passer. Ordinairement grave et respectueusement sincère avec le roi, elle venait de se faire violence pour le distraire, par des coquetteries de franchise un peu affectées, de l’interrogatoire dangereux qu’il commençait à lui faire subir. Elle avait espéré le détourner tout à fait de tourmenter sa malheureuse sœur. Mais Frédéric n’était pas homme à s’en départir, et les efforts de la pauvrette échouaient devant l’obstination du despote. Elle recommanda la princesse Amélie à Dieu ; car elle comprit fort bien que le roi la forçait à rester là, afin de confronter ses explications avec celles qu’on préparait dans la pièce voisine. Elle n’en douta plus en voyant le soin avec lequel, en y passant, il ferma la porte derrière lui. Elle resta donc un quart d’heure dans une pénible attente, agitée d’un peu de fièvre, effrayée de l’intrigue où elle se voyait enveloppée, mécontente du rôle qu’elle était forcée de jouer, se retraçant avec épouvante ces insinuations qui commençaient à lui venir de tous côtés de la possibilité de l’amour du roi pour elle, et l’espèce d’agitation