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— Pourquoi dites-vous Dieu merci ?

— Parce que je sais que Votre Majesté ne fait que des déclarations de guerre, même aux dames.

— Vous n’êtes ni la czarine, ni Marie-Thérèse ; quelle guerre puis-je avoir avec vous ?

— Celle que le lion peut avoir avec le moucheron.

— Et quelle mouche vous pique, vous, de citer une pareille fable ? Le moucheron fit périr le lion à force de le harceler.

— C’était sans doute un pauvre lion, colère et par conséquent faible. Je n’ai donc pu penser à cet apologue.

— Mais le moucheron était âpre et piquant. Peut-être que l’apologue vous sied bien !

— Votre Majesté le pense ?

— Oui.

— Sire, vous mentez ! »

Frédéric prit le poignet de la jeune fille, et le serra convulsivement jusqu’à le meurtrir. Il y avait de la colère et de l’amour dans ce mouvement bizarre. La Porporina ne changea pas de visage, et le roi ajouta en regardant sa main rouge et gonflée : « Vous avez du courage !

— Non, Sire, mais je ne fais pas semblant d’en manquer comme tous ceux qui vous entourent.

— Que voulez-vous dire ?

— Qu’on fait souvent le mort pour n’être pas tué. À votre place, je n’aimerais pas qu’on me crût si terrible.

— De qui êtes-vous amoureuse ? dit le roi changeant encore une fois de propos.

— De personne, Sire.

— Et en ce cas, pourquoi avez-vous des attaques de nerfs ?

— Cela n’intéresse point le sort de la Prusse, et par conséquent le roi ne se soucie pas de le savoir.