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Droite1

n’a pu m’écouter. Quant à elle, ajouta la princesse en montrant la Porporina, regarde-la, et dis-moi s’il est possible de douter d’une figure comme la sienne. Non, non ! je ne suis pas si imprudente que j’en ai l’air ; chère Porporina, ne croyez pas que je vous parle à cœur ouvert par distraction, ni que je vienne à m’en repentir quand je serai calme. J’ai un instinct infaillible, voyez-vous, mon enfant. J’ai un coup d’œil qui ne m’a jamais trompée. C’est dans la famille, cela, et mon frère le roi, qui s’en pique, ne me vaut pas sous ce rapport-là. Non, vous ne me tromperez pas, je le vois, je le sais !… vous ne voudriez pas tromper une femme qui est dévorée d’un amour malheureux, et qui a souffert des maux dont personne n’aura jamais l’idée.

— Oh ! madame, jamais ! dit la Porporina en s’agenouillant près d’elle, comme pour prendre Dieu à témoin de son serment : ni vous, ni M. de Trenck, qui m’a sauvé la vie, ni personne au monde, d’ailleurs !

— Il t’a sauvé la vie ? Ah ! je suis sûre qu’il l’a sauvée à bien d’autres ! il est si brave, si bon, si beau ! Il est bien beau, n’est-ce pas ? mais tu ne dois pas trop l’avoir regardé ; autrement tu en serais devenue amoureuse, et tu ne l’es pas, n’est-il pas vrai ? Tu me raconteras comment tu l’as connu, et comment il t’a sauvé la vie ; mais pas maintenant. Je ne pourrais pas t’écouter. Il faut que je parle, mon cœur déborde. Il y a si longtemps qu’il se dessèche dans ma poitrine ! Je veux parler, parler encore ; laisse-moi tranquille, de Kleist. Il faut que ma joie s’exhale, ou que j’éclate. Seulement, ferme les portes, fais le guet, garde-moi, aie soin de moi. Ayez pitié de moi, mes pauvres amies, car je suis bien heureuse ! »

Et la princesse fondit en larmes.

« Tu sauras, reprit-elle au bout de quelques instants et d’une voix entrecoupée par des larmes, mais avec une