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cru plusieurs fois le devenir, et je vois bien que les plus grands personnages le sont encore plus que moi. Il y a de la démence dans l’air. »

La princesse lui détacha enfin ses bras du cou, pour les jeter autour de celui de madame de Kleist, en criant et en pleurant, et en répétant de sa voix la plus étrange :

« Sauvé ! sauvé ! il est sauvé ! mes amies, mes bonnes amies ! Trenck s’est enfui de la forteresse de Glatz ; il se sauve, il court, il court encore !… »

Et la pauvre princesse tomba dans un accès de rire convulsif, entrecoupé de sanglots qui faisaient mal à voir et à entendre.

« Ah ! madame, pour l’amour du ciel, contenez votre joie ! dit madame de Kleist ; prenez garde qu’on ne vous entende ! »

En ramassant la prétendue cabale, qui n’était autre chose qu’une lettre en chiffres du baron de Trenck, elle aida la princesse à en poursuivre la lecture, que celle-ci interrompit mille fois par les éclats d’une joie fébrile et quasi forcenée.


V.

« Séduire, grâce aux moyens que mon incomparable amie m’en a donnés, les bas officiers de la garnison, m’entendre avec un prisonnier aussi friand que moi de sa liberté, donner un grand coup de poing à un surveillant, un grand coup de pied à un autre, un grand coup d’épée à un troisième, faire un saut prodigieux au bas du rempart, en précipitant devant moi mon ami qui ne se décidait pas assez vite, et qui se démit le pied en tombant, le ramasser, le prendre sur mes épaules, courir ainsi pendant un quart d’heure, traverser la Neiss dans l’eau jusqu’à la ceinture, par un brouillard