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tion qui tombait d’elle-même à chaque instant, à ouvrir une de ses partitions, où elle avait glissé la lettre cabalistique ; et elle s’arrangea de manière à ce que ce grand papier et ces gros caractères frappassent les regards de la princesse. Dès que l’effet fut produit, elle feignit de vouloir retirer cette feuille, comme si elle eût été surprise de la trouver là ; mais l’abbesse s’en empara précipitamment, en s’écriant :

« Qu’est-ce là, mademoiselle ? Au nom du ciel, d’où cela vous vient-il ?

— S’il faut l’avouer à Votre Altesse, répondit la Porporina d’un air significatif, c’est une opération astrologique que je me proposais de lui présenter, lorsqu’il lui plairait de m’interroger sur un sujet auquel je ne suis pas tout à fait étrangère. »

La princesse fixa ses yeux ardents sur la cantatrice, les reporta sur les caractères magiques, courut à l’embrasure d’une fenêtre, et, ayant examiné le grimoire un instant, elle fit un grand cri, et tomba comme suffoquée dans les bras de madame de Kleist, qui s’était élancée vers elle en la voyant chanceler.

« Sortez, mademoiselle, dit précipitamment la favorite à la Porporina ; passez dans le cabinet, et ne dites rien ; n’appelez personne, personne, entendez-vous ?

— Non, non, qu’elle ne sorte pas… dit la princesse d’une voix étouffée, qu’elle vienne ici… ici, près de moi. Ah ! mon enfant, s’écria-t-elle dès que la jeune fille fut auprès d’elle, quel service vous m’avez rendu ! »

Et saisissant la Porporina dans ses bras maigres et blancs, animés d’une force convulsive, la princesse la serra sur son cœur et couvrit ses joues de baisers saccadés et pointus dont la pauvre enfant se sentit le visage tout meurtri et l’âme toute consternée.

« Décidément, ce pays-ci rend fou, pensa-t-elle ; j’ai