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Des torrents de pleurs éteignaient les feux de sa colère, et puis tout à coup une ironie féroce, un dédain impie l’arrachaient à ces abattements salutaires qu’il ne lui était pas permis de nourrir et de montrer.

La première remarque que fit la Porporina, en l’abordant, fut celle de cette espèce de dualité dans son être. La princesse avait deux aspects, deux visages : l’un caressant, l’autre menaçant ; deux voix : l’une douce et harmonieuse, qui semblait lui avoir été donnée par le ciel pour chanter comme un ange ; l’autre rauque et âpre, qui semblait sortir d’une poitrine brûlante, animée d’un souffle diabolique. Notre héroïne, pénétrée de surprise devant un être si bizarre, partagée entre la peur et la sympathie, se demanda si elle allait être envahie et dominée par un bon ou par un mauvais génie.

De son côté, la princesse trouva la Porporina beaucoup plus redoutable qu’elle ne se l’était imaginée. Elle avait espéré que, dépouillée de ses costumes de théâtre et de ce fard qui enlaidit extrêmement les femmes, quoi qu’on en puisse dire, elle justifierait ce que madame de Kleist lui en avait dit pour la rassurer, qu’elle était plutôt laide que belle. Mais ce teint brun-clair, si uni et si pur, ces yeux noirs si puissants et si doux, cette bouche si franche, cette taille souple, aux mouvements si naturels et si aisés, tout cet ensemble d’une créature honnête, bonne et remplie du calme ou tout au moins de la force intérieure que donnent la droiture et la vraie sagesse, imposèrent à l’inquiète Amélie une sorte de respect et même de honte, comme si elle eût pressenti une âme inattaquable dans sa loyauté.

Les efforts qu’elle fit pour cacher son malaise furent remarqués de la jeune fille, qui s’étonna, comme on peut le croire, de voir une si haute princesse intimidée devant elle. Elle commença donc, pour ranimer une conversa-