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était-ce pour établir entre la princesse et le prisonnier des rapports utiles au salut ou au soulagement de ce dernier ? La jeune fille hésita ; elle se rappela le proverbe : « Dans le doute, abstiens-toi. » Puis elle pensa qu’il y a de bons et de mauvais proverbes, les uns à l’usage de l’égoïsme prudent, les autres à celui du dévouement courageux. Elle se leva en se disant :

« Dans le doute, agis, lorsque tu ne compromets que toi-même, et que tu peux espérer être utile à ton ami, à ton semblable. »

Elle achevait à peine sa toilette, qu’elle faisait un peu lentement, car elle était très-affaiblie et brisée par la crise de la veille, et tout en nouant ses beaux cheveux noirs, elle songeait au moyen de faire parvenir promptement et d’une manière sûre le grimoire à la princesse, lorsqu’un grand laquais galonné vint s’informer si elle était seule, et si elle pouvait recevoir une dame qui ne se nommait pas et qui désirait lui parler. La jeune cantatrice maudissait souvent cette sujétion où les artistes de ce temps-là vivaient à l’égard des grands ; elle fut tentée, pour renvoyer la dame importune, de faire répondre que messieurs les chanteurs du théâtre étaient chez elle ; mais elle pensa que si c’était un moyen d’effaroucher la pruderie de certaines dames, c’était le plus sûr pour attirer plus vite certaines autres. Elle se résigna donc à recevoir la visite, et madame de Kleist fut bientôt près d’elle.

La grande dame bien stylée avait résolu d’être charmante avec la cantatrice et de lui faire oublier toutes les distances du rang ; mais elle était gênée, parce que, d’une part, on lui avait dit que cette jeune fille était très-fière, et que de l’autre, étant fort curieuse pour son propre compte, madame de Kleist eût bien voulu la faire causer et pénétrer le fond de ses pensées. Quoiqu’elle