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fille un crédit illimité, pour le moment, sur son esprit.

— Et comment sais-tu cela depuis une heure ?

— Parce qu’en me déshabillant pour me mettre au lit, j’ai fait babiller ma femme de chambre, laquelle m’a appris qu’elle avait une sœur au service de cette Porporina. Là-dessus je la questionne, je lui tire les vers du nez, et, de fil en aiguille, j’apprends que madite soubrette sort à l’instant même de chez sa sœur, et qu’à l’instant même le roi sortait de chez la Porporina.

— Es-tu bien sûre de cela ?

— Ma fille de chambre venait de voir le roi comme je vous vois. Il lui avait parlé à elle-même, la prenant pour sa sœur, laquelle était occupée, dans une autre pièce, à soigner sa maîtresse malade, ou feignant de l’être. Le roi s’est informé de la santé de la Porporina avec une sollicitude extraordinaire ; il a frappé du pied d’un air tout à fait chagrin, en apprenant qu’elle ne cessait de pleurer ; il n’a pas demandé à la voir, dans la crainte de la gêner, a-t-il dit ; il a remis pour elle un flacon très-précieux ; enfin il s’est retiré, en recommandant bien qu’on dît à la malade, le lendemain, qu’il était venu la voir à onze heures du soir.

— Voilà une aventure, j’espère ! s’écria la princesse, et je n’ose en croire mes oreilles. Ta soubrette connaît-elle bien les traits du roi ?

— Qui ne connaît la figure d’un roi toujours à cheval ? D’ailleurs, un page avait été envoyé en éclaireur cinq minutes à l’avance pour voir s’il n’y avait personne chez la belle. Pendant ce temps, le roi, enveloppé et emmitouflé, attendait en bas dans la rue, en grand incognito, selon sa coutume.

— Ainsi, du mystère, de la sollicitude, et surtout du respect : c’est de l’amour, ou je ne m’y connais pas, de Kleist. Et tu es venue, malgré le froid et la nuit, m’ap-