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de me montrer la personne absente que je désirais voir, je pensais à maître Porpora, mon maître de musique, qui est maintenant à Vienne ; et, au lieu de lui, je vis apparaître dans la chambre magique un ami bien cher que j’ai perdu cette année.

— Peste ! dit d’Argens, cela est beaucoup plus sorcier que d’en faire voir un vivant !

— Attendez, messieurs. Cagliostro, mal informé, ne se doutait pas que la personne qu’il montrait fût morte ; car, lorsque le fantôme eut disparu, il demanda à mademoiselle Porporina si elle était satisfaite de ce qu’elle venait d’apprendre. « D’abord, monsieur, répondit-elle, je désirerais le comprendre. Veuillez me l’expliquer. — Cela dépasse mon pouvoir, répondit-il ; qu’il vous suffise de savoir que votre ami est tranquille et qu’il s’occupe utilement. » Sur quoi la signora reprit : « Hélas ! monsieur, vous m’avez fait bien du mal sans le savoir : vous m’avez montré une personne que je ne songeais point à revoir jamais, et vous me la donnez maintenant pour vivante, tandis que je lui ai fermé les yeux il y a six mois. » Voilà, messieurs, continua Frédéric, comment ces sorciers se trompent en voulant tromper les autres, et comment leurs trames sont déjouées par un ressort qui manque à leur police secrète. Ils pénètrent jusqu’à un certain point les mystères des familles et celui des affections intimes. Comme toutes les histoires de ce monde se ressemblent plus ou moins, et qu’en général les gens enclins au merveilleux n’y regardent pas de si près, ils tombent juste vingt fois sur trente ; mais dix fois sur trente ils donnent à côté, et on n’y fait pas attention, tandis qu’on fait grand bruit des épreuves qui ont réussi. C’est absolument comme dans les horoscopes, où l’on vous prédit une série banale d’événements qui doivent nécessairement arriver à tout le monde, tels que