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miliantes accusations. Elle ne pouvait plus lever les yeux autour d’elle sans découvrir quelque nouvelle sentence qu’elle n’avait pas encore remarquée, et qui semblait lui défendre de respirer à l’aise dans ce sanctuaire d’une justice soupçonneuse et vigilante. Son âme s’était affaissée sur elle-même après la crise de son évasion et celle de son amour improvisé pour l’inconnu. L’état léthargique qu’on avait provoqué, sans doute à dessein, chez elle, pour lui cacher la situation de son asile, lui avait laissé une secrète langueur, jointe à l’irritabilité nerveuse qui en est la conséquence. Elle se sentit donc en peu de temps devenir à la fois inquiète et nonchalante, tour à tour effrayée d’un rien et indifférente à tout.

Un soir, elle crut entendre les sons, à peine saisissables, d’un orchestre dans le lointain. Elle monta sur la terrasse, et vit le château resplendissant de lumières à travers le feuillage. Une musique de symphonie, fière et vibrante, parvint distinctement jusqu’à elle. Ce contraste d’une fête et de son isolement l’émut plus qu’elle ne voulait se l’avouer. Il y avait si longtemps qu’elle n’avait échangé une parole avec des êtres intelligents ou raisonnables ! Pour la première fois de sa vie, elle se fit une idée merveilleuse d’une nuit de concert ou de bal, et, comme Cendrillon, elle souhaita que quelque bonne fée l’enlevât dans les airs et la fit entrer dans le palais enchanté par une fenêtre, fût-ce pour y rester invisible, et y jouir de la vue d’une réunion d’êtres humains animés par le plaisir.

La lune n’était pas encore levée. Malgré la pureté du ciel, l’ombre était si épaisse sous les arbres, que Consuelo pouvait bien s’y glisser sans être aperçue, fût-elle entourée d’invisibles surveillants. Une violente tentation vint s’emparer d’elle, et toutes les raisons spécieuses que