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— Ma parole est plus solide encore que tous vos verrous, monsieur Matteus. Dormez en paix, comme je suis disposée à le faire de mon côté. »

Plusieurs jours s’écoulèrent sans que Consuelo reçût signe de vie de la part de ses hôtes, et sans qu’elle eût d’autre visage sous les yeux que le masque noir de Matteus, plus agréable peut-être que sa véritable figure. Ce digne serviteur la servait avec un zèle et une ponctualité dont elle ne pouvait assez le remercier ; mais il l’ennuyait prodigieusement par sa conversation, qu’elle était obligée de subir ; car il refusa constamment avec stoïcisme les dons qu’elle voulut lui faire, et elle n’eut pas d’autre manière de lui marquer sa reconnaissance qu’en le laissant babiller. Il aimait passionnément l’usage de la parole, et cela était d’autant plus remarquable que, voué par état à une réserve bizarre, il ne s’en départait jamais, et possédait l’art de toucher à beaucoup de sujets sans jamais effleurer les cas réservés confiés à sa discrétion. Consuelo apprit de lui combien le potager du château produisait au juste chaque année de carottes et d’asperges ; combien il naissait de faons dans le parc, l’histoire de tous les cygnes de la pièce d’eau, de tous les poussins de la faisanderie, et de tous les ananas de la serre. Mais elle ne put soupçonner un instant dans quel pays elle se trouvait ; si le maître ou les maîtres du château étaient absents ou présents, si elle devait communiquer un jour avec eux, ou rester indéfiniment seule dans le pavillon.

En un mot, rien de ce qui l’intéressait réellement ne s’échappa des lèvres prudentes et pourtant actives de Matteus. Elle eût craint de manquer à toute délicatesse en approchant seulement à la portée de la voix du jardinier ou de la servante, qui, du reste, étaient fort matineux et disparaissaient presque aussitôt qu’elle était