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réponses à son gré. Ainsi elle apprit de lui tout ce qu’elle ne lui demandait pas, sans rien apprendre toutefois : « Ses maîtres étaient des personnages fort riches, fort puissants, très-généreux, mais très-sévères, particulièrement sur l’article de la discrétion. Le pavillon faisait partie d’une belle résidence, tantôt habitée par les maîtres, tantôt confiée à la garde de serviteurs très-fidèles, très-bien payés et très-discrets. Le pays était riche, fertile et bien gouverné. Les habitants n’avaient pas l’habitude de se plaindre de leurs seigneurs : d’ailleurs ils n’eussent pas eu beau jeu avec maître Matteus, qui vivait dans le respect des lois et des personnes, et qui ne pouvait souffrir les paroles indiscrètes. » Consuelo fut si ennuyée de ses savantes insinuations et de ses renseignements officieux, qu’elle lui dit en souriant, aussitôt après le souper :

« Je craindrais d’être indiscrète moi-même, monsieur Matteus, en jouissant plus longtemps de l’agrément de votre conversation ; je n’ai plus besoin de rien pour aujourd’hui, et je vous souhaite le bonsoir.

— Madame me fera l’honneur de me sonner quand elle voudra quoi que ce soit, reprit-il. Je demeure derrière la maison, sous le rocher, dans un joli ermitage où je cultive des melons d’eau magnifiques. Je serais bien flatté que madame pût leur accorder un coup d’œil d’encouragement ; mais il m’est particulièrement interdit d’ouvrir jamais cette porte à madame.

— J’entends, maître Matteus, je ne dois jamais sortir que dans le jardin, et je ne dois pas m’en prendre à votre caprice, mais à la volonté de mes hôtes. Je m’y conformerai.

— D’autant plus que madame aurait bien de la peine à ouvrir cette porte. Elle est si lourde… ; et puis il y a un secret à la serrure qui pourrait blesser grièvement les mains de madame, si elle n’était pas prévenue.