Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
335

puis tirant de son sein la petite croix en filigrane qu’elle chérissait superstitieusement, elle la mit dans cette belle main dont la blancheur était rehaussée par le pourpre du sang :

« Tenez, dit-elle, voici ce que je possède de plus précieux au monde, c’est l’héritage de ma mère, mon porte-bonheur qui ne m’a jamais quittée. Je n’avais jamais aimé personne au point de lui confier ce trésor. Gardez-le jusqu’à ce que je vous retrouve. »

L’inconnu attira la main de Consuelo derrière la boiserie qui le cachait, et la couvrit de baisers et de larmes. Puis, au bruit des pas de Karl, qui venait chez lui remplir son message, il la repoussa, et referma précipitamment la boiserie. Consuelo entendit le bruit d’un verrou. Elle écouta en vain, espérant saisir le son de la voix de l’inconnu. Il parlait bas, ou il s’était éloigné.

Karl revint chez Consuelo peu d’instants après.

« Il est parti, signora, dit-il tristement ; parti sans vouloir vous faire ses adieux, et en remplissant mes poches de je ne sais combien de ducats, pour les besoins imprévus de votre voyage, à ce qu’il a dit, vu que les dépenses régulières sont à la charge de ceux… à la charge de Dieu ou du diable, n’importe ! Il y a là un petit homme noir qui ne desserre les dents que pour commander d’un ton clair et sec, et qui ne me plaît pas le moins du monde ; c’est lui qui remplace le chevalier, et j’aurai l’honneur de sa compagnie sur le siège, ce qui ne me promet pas une conversation fort enjouée. Pauvre chevalier ! fasse le ciel qu’il nous soit rendu !

— Mais sommes-nous donc obligés de suivre ce petit homme noir ?

— On ne peut plus obligés, signora. Le chevalier m’a fait jurer que je lui obéirais comme à lui-même. Allons, signora, voilà votre dîner. Il ne faut pas le bouder, il a