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— Pas encore, signora ; mais on selle son cheval, et je viens de faire son porte-manteau. Il dit que vous n’avez rien à craindre maintenant, et la personne qui doit le remplacer auprès de vous est déjà arrivée. J’espère que nous le reverrons bientôt, car j’aurais bien du chagrin qu’il en fût autrement. Cependant il ne s’engage à rien, et à toutes mes questions il répond : Peut-être !

— Karl ! où est le chevalier ?

— Je n’en sais rien, signora. Sa chambre est par ici. Voulez-vous que je lui dise de votre part…

— Ne lui dis rien, je vais écrire. Non… dis-lui que je veux le remercier… le voir un instant, lui presser la main seulement… Va, dépêche-toi, je crains qu’il ne soit déjà parti. »

Karl sortit ; et Consuelo se repentit aussitôt de lui avoir confié ce message. Elle se dit que si le chevalier ne s’était jamais tenu près d’elle durant ce voyage que dans le cas d’absolue nécessité, ce n’était pas sans doute sans en avoir pris l’engagement avec les bizarres et redoutables Invisibles. Elle résolut de lui écrire ; mais à peine avait-elle tracé et déjà effacé quelques mots, qu’un léger bruit lui fit lever les yeux. Elle vit alors glisser un pan de boiserie qui faisait une porte secrète de communication avec le cabinet où elle avait déjà écrit et une pièce voisine, sans doute celle qu’occupait le chevalier. La boiserie ne s’écarta cependant qu’autant qu’il le fallait pour le passage d’une main gantée qui semblait appeler celle de Consuelo. Elle s’élança et saisit cette main en disant : « L’autre main, la main blessée ! »

L’inconnu s’effaçait derrière le panneau de manière à ce qu’elle ne pût le voir. Il lui passa sa main droite, dont Consuelo s’empara, et défaisant précipitamment la ligature, elle vit la blessure qui était profonde en effet. Elle y porta ses lèvres et l’enveloppa de son mouchoir ;