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il me semble que tu l’es aussi. Je ne puis aimer que toi, et vois bien que tu n’en aimes pas un autre… Mais notre sort ne nous appartient plus. Je suis engagé par des voeux éternels, et tu vas l’être sans doute bientôt ; du moins tu es au pouvoir des Invisibles, et c’est un pouvoir sans appel. Adieu donc… mon sein se déchire, mais Dieu me donnera la force d’accomplir ce sacrifice, et de plus rigoureux encore s’il en existe. Adieu… Adieu ! Ô grand Dieu, ayez pitié de moi ! »

Cette lettre sans signature était d’une écriture pénible ou contrefaite.

« Karl ! s’écria Consuelo pâle et tremblante, c’est bien le chevalier qui t’a remis ceci ?

— Oui, signora.

— Et il l’a écrit lui-même ?

— Oui, signora, et non sans peine. Il a la main droite blessée.

— Blessée, Karl ? gravement ?

— Peut-être. La blessure est profonde, quoiqu’il ne paraisse guère y songer.

— Mais où s’est-il blessé ainsi ?

— La nuit dernière, au moment où nous changions de chevaux, avant de gagner la frontière, le cheval de brancard a voulu s’emporter avant que le postillon fût monté sur son porteur. Vous étiez seule dans la voiture : le postillon et moi étions à quatre ou cinq pas. Le chevalier a retenu le cheval avec la force d’un diable et le courage d’un lion, car c’était un terrible animal…

— Oh ! oui, j’ai senti de violentes secousses. Mais tu m’as dit que ce n’était rien.

— Je n’avais pas vu que monsieur le chevalier s’était fendu le dos de la main contre une boucle du harnais.

— Toujours pour moi ! Et dis-moi, Karl, est-ce que le chevalier a quitté cette maison ?