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XXIII.

Peu d’instants après, Karl rentra avec une lettre dont l’écriture était inconnue à Consuelo et dont voici à peu près le contenu :

« Je vous quitte pour ne vous revoir peut-être jamais. Je renonce à trois jours que j’aurais pu passer encore auprès de vous, trois jours que je ne retrouverai peut-être pas dans toute ma vie ! J’y renonce volontairement. Je le dois. Vous apprécierez un jour la sainteté de mon sacrifice.

« Oui, je vous aime, je vous aime éperdument, moi aussi ! Je ne vous connais pourtant guère plus que vous ne me connaissez. Ne me sachez donc aucun gré de ce que j’ai fait pour vous. J’obéissais à des ordres suprêmes, j’accomplissais le devoir de ma charge. Ne me tenez compte que de l’amour que j’ai pour vous, et que je ne puis vous prouver qu’en m’éloignant. Cet amour est violent autant qu’il est respectueux. Il sera aussi durable qu’il a été subit et irréfléchi. J’ai à peine vu vos traits, je ne sais rien de votre vie ; mais j’ai senti que mon âme vous appartenait, et que je ne pourrais jamais la reprendre. Votre passé fût-il aussi souillé que votre front est pur, vous ne m’en serez pas moins respectable et chère. Je m’en vais le cœur plein d’orgueil, de joie et d’amertume. Vous m’aimez ! Comment supporterai-je l’idée de vous perdre, si la terrible volonté qui dispose de vous et de moi m’y condamne ?… Je l’ignore. En ce moment je ne puis pas être malheureux, malgré mon épouvante ; je suis trop enivré de votre amour et du mien pour souffrir. Dussé-je vous chercher en vain toute ma vie, je ne me plaindrai pas de vous avoir rencontrée, et d’avoir goûté dans un baiser de vous un bonheur qui