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de lui, au lieu de lui permettre de le servir à table, et il l’avait contraint de partager son repas, et il lui avait versé du meilleur vin, trinquant avec lui à chaque verre, et lui tenant tête comme un vrai Slave.

« Quel dommage que ce ne soit qu’un italien ! disait Karl : il mériterait bien d’être bohême ; il porte aussi bien le vin que moi-même.

— Ce n’est peut-être pas beaucoup dire, répondit Consuelo, peu flattée de cette grande aptitude du chevalier à boire avec les valets. »

Mais elle se reprocha aussitôt de pouvoir considérer Karl comme inférieur à elle ou à ses amis, après les services qu’il lui avait rendus. D’ailleurs, c’était, sans doute, pour entendre parler d’elle que le chevalier avait recherché la société de ce serviteur dévoué. Les discours de Karl lui firent voir qu’elle ne se trompait pas.

« Oh ! signora, ajouta-t-il naïvement, ce digne jeune homme vous aime comme un fou, il ferait pour vous des crimes, des bassesses même !

— Je l’en dispenserais fort, répondit Consuelo, à qui ces expressions déplurent quoique sans doute Karl n’en comprît pas la portée. Pourrais-tu m’expliquer, lui dit-elle pour changer de propos, pourquoi je suis si bien enfermée ici ?

— Oh ! pour cela, signora, si je le savais, on me couperait la langue plutôt que de me le faire dire ; car j’ai donné ma parole d’honneur au chevalier de ne répondre à aucune de vos questions.

— Grand merci, Karl ! Ainsi tu aimes beaucoup mieux le chevalier que moi ?

— Oh ! jamais ! Je ne dis pas cela ; mais puisqu’il m’a prouvé que c’était dans vos intérêts, je dois vous servir malgré vous.

— Comment t’a-t-il prouvé cela ?