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déric dans sa gloire. C’était précisément le matin que La Mettrie lui avait répété ce fatal mot de Frédéric, qui fit succéder à une feinte amitié une aversion très-réelle entre ces deux grands hommes[1]. Tant il y a qu’il ne dit mot. « Ma foi, pensait-il, qu’il jette l’écorce de La Mettrie quand bon lui semblera ; qu’il ait de l’humeur ; qu’il souffre, et que le souper finisse. J’ai la colique, et tous ces compliments ne m’empêcheront pas de la sentir. »

Frédéric fut donc forcé de s’exécuter et de reprendre tout seul sa philosophique sérénité.

« Puisque nous sommes sur le chapitre de Cagliostro, dit-il, et que l’heure des histoires de revenants vient de sonner, je vais vous raconter la mienne, et vous jugerez ce qu’il faut croire de la science des sorciers. Mon histoire est très-véritable, et je la tiens de la personne même à qui elle est arrivée l’été dernier. C’est l’incident survenu ce soir au théâtre qui me la remet en mémoire, et peut-être cet incident est-il lié à ce que vous allez entendre.

— L’histoire sera-t-elle un peu effrayante ? demanda La Mettrie.

— Peut-être ! répondit le roi.

— En ce cas, reprit-il, je vais fermer la porte qui est derrière moi. Je ne peux pas souffrir une porte ouverte quand on parle de revenants et de prodiges. »

La Mettrie ferma la porte, et le roi parla ainsi :

« Cagliostro, vous le savez, avait l’art de montrer aux gens crédules des tableaux, ou plutôt des miroirs magiques, sur lesquels il faisait apparaître des personnes

  1. « Je le garde encore parce que j’ai besoin de lui. Dans un an je n’en aurai plus que faire, et je m’en débarrasserai. Je presse l’orange, et après je jetterai l’écorce. » On sait que ce mot fut une plaie vive pour l’orgueil de Voltaire.