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siège, étroit pour deux personnes côte à côte, lui qui paraissait si recherché, avec un soldat fort proprement travesti en domestique, à la vérité, mais dont la conversation confiante et prolixe pouvait bien lui peser à la longue ; enfin, exposé au frais de la nuit et privé de sommeil. Tant de courage ressemblait peut-être aussi à de la présomption ; se croyait-il irrésistible ? Pensait-il que Consuelo, revenue d’une première surprise de l’imagination, ne se défendrait pas de sa familiarité par trop paternelle ? La pauvre enfant se disait tout cela pour consoler son orgueil abattu ; mais le plus certain, c’est qu’elle désirait le revoir, et craignait, par-dessus tout, son dédain ou le triomphe d’un excès de vertu qui les eût à jamais rendus étrangers l’un à l’autre.

Vers le milieu de la nuit, on s’arrêta dans une ravine. Le temps était sombre. Le bruit du vent dans le feuillage ressemblait à celui d’une eau courante : « Signora, dit Karl en ouvrant la portière, nous voici arrivés au moment le moins commode de notre voyage : il nous faut passer la frontière. Avec de l’audace et de l’argent, on se tire de tout, dit-on. Cependant il ne serait pas prudent que vous fissiez cet essai par la grande route et sous l’œil des gens de police. Je ne risque rien, moi qui ne suis rien. Je vais conduire le carrosse au pas, avec un seul cheval, comme si je menais cette nouvelle acquisition chez mes maîtres, à une campagne voisine. Vous, vous prendrez la traverse avec monsieur le chevalier, et vous passerez peut-être par des sentiers un peu difficiles. Vous sentez-vous la force de faire une lieue à pied sur de mauvais chemins ? »

Sur la réponse affirmative de Consuelo, elle trouva le bras du chevalier prêt à recevoir le sien ; Karl ajouta :

« Si vous arrivez avant moi au lieu du rendez-vous, vous m’attendrez sans crainte, n’est-ce pas, signora ?