Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
28

leçon, qu’elle prenne garde à elle ! Elle renverse la cervelle de toutes nos dames, et on dit même qu’elle a rendu fou monsieur son mari, qui sacrifiait des boucs noirs à Satan pour découvrir les trésors enfouis dans nos sables du Brandebourg.

— Mais tout cela est du meilleur ton chez vous, père Pantagruel, dit La Mettrie. Je ne sais pas pourquoi vous voulez que les femmes se soumettent à votre rechigneuse déesse Raison. Les femmes sont au monde pour s’amuser et pour nous amuser. Pardieu ! le jour où elles ne seront plus folles, nous serons bien sots ! Madame de Kleist est charmante avec toutes ses histoires de sorciers ; elle en régale soror Amalia

— Que veut-il dire avec sa soror Amalia ? dit le roi étonné.

— Eh ! votre noble et charmante sœur, l’abbesse de Quedlimburg, qui donne dans la magie de tout son cœur, comme chacun sait…

— Tais-toi, Panurge ! répéta le roi d’une voix de tonnerre, et en frappant de sa tabatière sur la table. »


III.

Il y eut un moment de silence pendant lequel minuit sonna lentement[1]. Ordinairement Voltaire avait l’art de renouer la conversation quand un nuage passait sur le front de son cher Trajan, et d’effacer la mauvaise impression qui rejaillissait sur les autres convives. Mais ce soir-là, Voltaire, triste et souffrant, ressentait les sourdes atteintes de ce spleen prussien, qui s’emparait bien vite de tous les heureux mortels appelés à contempler Fré-

  1. L’Opéra commençait et finissait plus tôt que de nos jours. Frédéric commençait à souper à dix heures.