Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
314

— Le chevalier de quoi ?

— M. le chevalier tout court. Mais pourquoi cherchez-vous à le savoir, signora ? Puisqu’il désire vous rester inconnu, il me semble qu’il vous rend d’assez grands services au péril de sa vie, pour que vous ayez l’obligeance de rester tranquille à cet égard. Quant à moi, je voyagerais bien dix ans avec lui sans lui demander où il me mène. Il est si beau, si brave, si bon, si gai !…

— Si gai ? cet homme-là est gai ?

— Certes. Il est si content de vous avoir sauvée, qu’il ne peut s’en taire. Il me fait mille questions sur Spandaw, sur vous, sur Gottlieb, sur moi, sur le roi de Prusse. Moi, je lui dis tout ce que je sais, tout ce qui m’est arrivé, même l’aventure de Roswald ! Cela fait tant de bien de parler le bohémien et d’être écouté par un homme d’esprit qui vous comprend, au lieu que tous ces ânes de prussiens n’entendent que leur chienne de langue.

— Il est donc bohémien, lui ?

— Je me suis permis de lui faire cette question, et il m’a répondu non tout court, même un peu sèchement. Aussi j’avais tort de l’interroger, lorsque son bon plaisir était de me faire répondre.

— Est-il toujours masqué ?

— Seulement quand il s’approche de vous, signora. Oh ! c’est un plaisant ; il veut sans doute vous intriguer. »

L’enjouement et la confiance de Karl ne rassuraient pas entièrement Consuelo. Elle voyait bien qu’il joignait à beaucoup de détermination et de bravoure une droiture et une simplicité de cœur dont on pouvait aisément abuser. N’avait-il pas compté sur la bonne foi de Mayer ? Ne l’avait-il pas poussée elle-même dans la chambre de ce misérable ? Et maintenant il se soumettait aveuglément à un inconnu pour enlever Consuelo, et l’exposer peut-