Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
311

porter après un instant de réflexion. Aucune pensée ne vint troubler la sécurité ineffable de cet instant d’amour senti et partagé comme par miracle. C’était le premier de sa vie. Elle en avait l’instinct, ou plutôt la révélation ; et le charme en était si complet, si profond, si divin, que rien ne semblait pouvoir jamais l’altérer. L’inconnu lui paraissait un être à part, quelque chose d’angélique dont l’amour la sanctifiait. Il passa légèrement le bout de ses doigts, plus doux que le tissu d’une fleur, sur les paupières de Consuelo, et à l’instant elle se rendormit comme par enchantement. Il resta éveillé cette fois, mais calme en apparence, comme s’il eût été invincible, comme si les traits de la tentation n’eussent pu pénétrer son armure. Il veillait en entraînant Consuelo vers des régions inconnues, tel qu’un archange emportant sous son aile un jeune séraphin anéanti et consumé par le rayonnement de la Divinité.

Le jour naissant et le froid du matin tirèrent enfin Consuelo de cette espèce de léthargie. Elle se trouva seule dans la voiture, et se demanda si elle avait rêvé qu’elle aimait. Elle essaya de baisser une des jalousies : mais elles étaient toutes fermées par un verrou extérieur ou par un ressort dont elle ne connaissait pas le jeu. Elle pouvait recevoir l’air et voir courir en lignes brisées et confuses les marges blanches ou vertes du chemin ; mais elle ne pouvait rien discerner dans la campagne, ni par conséquent faire aucune observation, aucune découverte sur la route qu’elle tenait. Il y avait quelque chose d’absolu et de despotique dans la protection étendue sur elle. Cela ressemblait à un enlèvement, elle commença à en prendre souci et frayeur.

L’inconnu disparu, la pauvre pécheresse sentit arriver enfin toutes les angoisses de la honte, toute la stupeur de l’étonnement. Il n’était peut- être pas beau-