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Consuelo, craignant l’effet de cette terrible émotion sur le pauvre Karl, chercha à surmonter la sienne propre pour le calmer et le distraire. Karl était né doux et patient comme un véritable serf bohémien. Cette vie tragique, où la destinée l’avait jeté, n’était pas faite pour lui ; et en accomplissant des actes d’énergie et de vengeance, il éprouvait l’horreur du remords et les terreurs de la dévotion. Consuelo le détourna de ses pensées lugubres, pour donner peut-être aussi le change aux siennes propres. Elle aussi s’était armée cette nuit-là pour le meurtre. Elle aussi avait frappé et fait couler quelques gouttes du sang de la victime impure. Une âme droite et pieuse ne saurait aborder la pensée et concevoir la résolution de l’homicide sans maudire et déplorer les circonstances qui placent l’honneur et la vie sous la sauvegarde du poignard. Consuelo était navrée et atterrée, et elle n’osait plus se dire que sa liberté méritât d’être achetée au prix du sang, même de celui d’un scélérat.

« Mon pauvre Karl, dit-elle, nous avons fait l’office du bourreau cette nuit ! cela est affreux. Console-toi par l’idée que nous n’avions ni résolu ni prévu ce à quoi la nécessité nous a poussés. Parle-moi de ce seigneur qui a travaillé si généreusement à ma délivrance. Tu ne le connais donc pas ?

— Nullement, signora, je l’ai vu ce soir pour la première fois, et je ne sais pas son nom.

— Mais où nous mène-t-il, Karl ?

— Je ne sais pas, signora. Il m’est défendu de m’en informer ; et je suis même chargé, d’autre part, de vous dire que si vous faisiez en route la moindre tentative pour savoir où vous êtes et où vous allez, on serait forcé de vous abandonner en chemin. Il est certain qu’on ne nous veut que du bien : je suis donc résolu,