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splendide ; mais je tiens votre liberté dans mes mains, et la liberté est plus précieuse encore que la faveur d’une impératrice.

— Est-ce une menace, monsieur ? répondit Consuelo pâle d’indignation et de dégoût.

— Non, c’est une prière, belle signora.

— J’espère que ce n’est pas une condition ?

— Nullement ! Fi donc ! Jamais ! ce serait une indignité », répondit Mayer avec une impudente ironie, en s’approchant de Consuelo les bras ouverts.

Consuelo, épouvantée, s’enfuit au bout de la chambre. Mayer l’y suivit. Elle vit bien qu’elle était perdue si elle ne sacrifiait l’humanité à l’honneur ; et, subitement inspirée par la terrible fierté des femmes espagnoles, elle reçut l’étreinte de l’ignoble Mayer en lui enfonçant quelques lignes de couteau dans la poitrine. Mayer était fort gras, et la blessure ne fut pas dangereuse ; mais en voyant son sang couler, comme il était aussi lâche que sensuel, il se crut mort, et alla tomber en défaillance, le ventre sur son lit, en murmurant : « Je suis assassiné ! je suis perdu ! » Consuelo crut l’avoir tué, et faillit s’évanouir elle-même. Au bout de quelques instants de terreur silencieuse, elle osa pourtant s’approcher de lui, et, le voyant immobile, elle se hasarda à ramasser la clef de la chambre, qu’il avait laissée tomber à ses pieds. À peine la tint-elle, qu’elle sentit renaître son courage ; elle sortit sans hésitation, et s’élança au hasard dans les galeries. Elle trouva toutes les portes ouvertes devant elle, et descendit un escalier sans savoir où il la conduirait. Mais ses jambes fléchirent lorsqu’elle entendit retentir la cloche d’alarme, et peu après le roulement du tambour, et ce canon qui l’avait émue si fort la nuit où le somnambulisme de Gottlieb avait causé une alerte. Elle tomba à genoux sur