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ne s’apercevra pas de notre départ. Ô cher petit être ! puisses-tu faire la société et la consolation de celle qui me succédera dans cette cellule ! Puisse-t-elle te soigner et te respecter comme je l’ai fait !

« Allons ! je vais essayer de dormir pour être forte et calme demain. Je cachette ce manuscrit, que je veux emporter. Je me suis procuré, au moyen de Gottlieb, une nouvelle provision de papier, de crayons et de bougie, que je veux laisser dans ma cachette, afin que ces richesses inappréciables aux prisonniers fassent la joie de quelque autre après moi. »

Ici finissait le journal de Consuelo. Nous reprendrons le récit fidèle de ses aventures.

Il est nécessaire d’apprendre au lecteur que Karl ne s’était pas faussement vanté d’être aidé et employé par de puissants personnages. Ces chevaliers invisibles qui travaillaient à la délivrance de notre héroïne avaient répandu l’or à pleines mains. Plusieurs guichetiers, huit ou dix vétérans, et jusqu’à un officier, s’étaient engagés à se tenir coi, à ne rien voir, et, en cas d’alarme, à ne courir sus aux fugitifs que pour la forme. Le soir fixé pour l’évasion, Karl avait soupé chez les Schwartz, et, feignant d’être ivre, il les avait invités à boire avec lui. La mère Schwartz avait le gosier ardent comme la plupart des femmes adonnées à l’art culinaire. Son mari ne haïssait pas l’eau-de-vie de sa cantine, quand il la dégustait aux frais d’autrui. Une drogue narcotique, furtivement introduite par Karl dans le flacon, aida à l’effet du breuvage énergique. Les époux Schwartz regagnèrent leur lit avec peine, et y ronflèrent si fort, que Gottlieb, qui attribuait tout à des influences surnaturelles, ne manqua pas de les croire enchantés lorsqu’il s’approcha d’eux pour dérober les clefs ; Karl était