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nous des gens puissants que je ne connais pas, mais qui travaillent pour vous. Ils n’épargnent ni l’argent, ni les démarches, je vous assure ! Enfin, tout est prêt. Demain soir, les portes s’ouvriront d’elles-mêmes devant nous. Tout ce qui pourrait nous barrer le passage est gagné. Il n’y a que les Schwartz qui ne soient pas dans nos intérêts. Mais ils auront demain le sommeil plus lourd que de coutume, et quand ils s’éveilleront, vous serez déjà loin. Nous enlevons Gottlieb, qui demande à vous suivre. Je décampe avec vous, nous ne risquons rien, tout est prévu. Soyez prête, signora, et maintenant retournez sur l’esplanade, afin que la vieille ne vous trouve pas ici. »

« Je n’exprimai ma reconnaissance à Karl que par des pleurs, et je courus les cacher au regard inquisiteur de madame Schwartz.

« Ô mes amis, je vous reverrai donc ! je vous presserai donc dans mes bras ! J’échapperai encore une fois à l’affreux Mayer ! Je reverrai l’étendue des cieux, les riantes campagnes, Venise, l’Italie ; je chanterai encore, je retrouverai des sympathies ! Oh ! cette prison a retrempé ma vie et renouvelé mon cœur qui s’éteignait dans la langueur de l’indifférence. Comme je vais vivre, comme je vais aimer, comme je vais être pieuse et bonne !

« Et pourtant, énigme profonde du cœur humain ! je me sens terrifiée et presque triste à l’idée de quitter cette cellule où j’ai passé trois mois dans un effort perpétuel de courage et de résignation, cette esplanade où j’ai promené tant de mélancoliques rêveries, ces vieilles murailles qui paraissaient si hautes, si froides, si sereines au clair de la lune ! Et ce grand fossé dont l’eau morne était d’un si beau vert, et ces milliers de tristes fleurs que le printemps avait semées sur ses rives ! Et mon rouge-gorge surtout ! Gottlieb prétend qu’il nous suivra ; mais à cette heure-là, il sera endormi dans le lierre, et