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est né. Il y en a qui disent qu’il est en Prusse et qu’il s’appelle Voltaire ; mais je ne connais pas ce Voltaire, et ce peut bien être quelque autre, d’autant plus que V n’est pas W, et que le nom que l’Antéchrist portera parmi les hommes commencera par cette lettre, et sera allemand[1]. En attendant les grands prodiges qui vont éclater dans le courant de ce siècle, Dieu qui ne se mêle de rien ostensiblement, Dieu qui est le silence éternel[2], suscite parmi nous des êtres d’une nature supérieure pour le bien et pour le mal, des puissances occultes, des anges et des démons : ceux-ci pour éprouver les justes, ceux-là pour les faire triompher. Et puis, le grand combat entre les deux principes est déjà commencé. Le roi du mal, le père de l’erreur et de l’ignorance se défend en vain. Les archanges ont tendu l’arc de la science et de la vérité. Leurs traits ont traversé la cuirasse de Satan. Satan rugit et se débat encore ; mais bientôt il va renoncer au mensonge, perdre tout son venin, et au lieu du sang impur des reptiles, sentir circuler dans ses veines la rosée du pardon. Voilà l’explication claire et certaine de ce qui se passe d’incompréhensible et d’effrayant dans le monde. Le mal et le bien sont aux prises dans une région supérieure, inaccessible aux efforts des hommes. La victoire et la défaite planent sur nous sans que nul puisse les fixer à son gré. Frédéric de Prusse attribue à la force de ses armes des succès que le destin seul lui a octroyés en attendant qu’il le brise ou le relève encore suivant ses fins cachées. Oui, te dis-je, il est tout simple que les hommes ne comprennent plus rien à ce qui se passe sur la terre. Ils voient l’impiété prendre les armes de la foi, et réciproquement. Ils souffrent l’oppression, la misère,

  1. Ce pouvait être Weishaupt. Il naquit en 1748.
  2. Expression de Jacques Boehm. (Notes de l’éditeur.)