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grand préjudice du salut, et avec de grands périls pour ses proches. Cependant la nécessité l’emporta sur la crainte. Un de nos camarades, celui qui lui avait donné le conseil, et qui fut grandement soupçonné d’être affilié aux Invisibles, bien qu’il le niât fortement, lui donna en secret les moyens de faire ce qu’il appelait le signal de détresse. Nous n’avons jamais su en quoi consistait ce signal. Les uns ont dit que Franz avait tracé avec son sang sur sa porte un signe cabalistique. D’autres, qu’il avait été à minuit sur un tertre entre quatre chemins, au pied d’une croix où un cavalier noir lui était apparu. Enfin il en est qui ont parlé simplement d’une lettre qu’il aurait déposée dans le creux d’un vieux saule pleureur à l’entrée du cimetière. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il fut secouru, que sa famille put attendre sa guérison sans mendier, et qu’il eut le moyen de se faire traiter par un habile chirurgien qui le tira d’affaire. Des Invisibles, il n’en dit jamais un mot, si ce n’est qu’il les bénirait toute sa vie. Et voilà, ma sœur, comment j’ai appris pour la première fois l’existence de ces êtres terribles et bienfaisants. »

« — Mais toi, qui es plus instruit que ces jeunes gens de ton atelier, dis-je à Gottlieb, que penses-tu des Invisibles ? Sont-ce des sectaires, des charlatans, ou des conspirateurs ? »

« Ici Gottlieb, qui s’était exprimé jusque-là avec beaucoup de raison, retomba dans ses divagations accoutumées, et je ne pus rien en tirer, sinon que c’étaient des êtres d’une nature véritablement invisible, impalpable, et qui, comme Dieu et les anges, ne pouvaient tomber sous les sens, qu’en empruntant, pour communiquer avec les hommes, de certaines apparences.

« — Il est bien évident, me dit-il, que la fin du monde approche. Des signes manifestes ont éclaté. L’Antéchrist