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pas le courage. — Ce n’est pas le courage qui me manque, dit Franz ; que faut-il faire ? — Il faut t’adresser aux Invisibles. » Franz parut comprendre ce dont il s’agissait, car il secoua la tête d’un air de répugnance, et ne répondit rien. Quelques jeunes gens qui, comme moi, ne savaient ce que cela signifiait, en demandèrent l’explication, et il leur fut répondu de tous côtés : « Vous ne connaissez pas les Invisibles ? On voit bien que vous êtes des enfants ! Les Invisibles, ce sont des gens qu’on ne voit pas, mais qui agissent. Ils font toute sorte de bien et toute sorte de mal. On ne sait pas s’ils demeurent quelque part, mais il y en a partout. On dit qu’on en trouve dans les quatre parties du monde. Ce sont eux qui assassinent beaucoup de voyageurs et qui prêtent main-forte à beaucoup d’autres contre les brigands, selon que ces voyageurs sont jugés par eux dignes de châtiment ou de protection. Ils sont les instigateurs de toutes les révolutions : ils vont dans toutes les cours, dirigent toutes les affaires, décident la guerre ou la paix, rachètent les prisonniers, soulagent les malheureux, punissent les scélérats, font trembler les rois sur leurs trônes ; enfin ils sont cause de tout ce qui arrive d’heureux et de malheureux dans le monde. Ils se trompent peut-être plus d’une fois ; mais enfin on dit qu’ils ont bonne intention ; et d’ailleurs qui peut dire si ce qui est malheur aujourd’hui ne sera pas la cause d’un grand bonheur demain ? »

« Nous écoutions cela avec grand étonnement et grande admiration, poursuivit Gottlieb, et peu à peu j’en entendis assez pour pouvoir vous dire tout ce qu’on pense des Invisibles parmi les ouvriers et le pauvre peuple ignorant. Les uns disent que ce sont de méchantes gens, voués au diable qui leur communique sa puissance, le don de connaître les choses cachées, le pouvoir de