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essaient de croître et de vivre sur les débris des anciennes. Ainsi végètent les captifs, ainsi se repeuplent les prisons ?

« Mais n’est-il pas étrange que je me trouve ici avec un extatique d’un ordre inférieur à celui d’Albert, mais attaché comme lui à une religion secrète, à une croyance raillée, persécutée ou méprisée ? Gottlieb assure qu’il y a beaucoup d’autres bœhmistes que lui dans ce pays, que plusieurs cordonniers professent sa doctrine ouvertement, et que le fond de cette doctrine est implanté de tout temps dans les âmes populaires de nombreux philosophes et prophètes inconnus, qui ont jadis fanatisé la Bohême, et qui, aujourd’hui, couvent un feu sacré sous la cendre dans toute l’Allemagne. Je me souviens, en effet, des ardents cordonniers hussites dont Albert me racontait les prédications audacieuses et les exploits terribles au temps de Jean Ziska. Le nom même de Jacques Bœhm atteste cette origine glorieuse. Moi, je ne sais pas bien ce qui se passe dans ces cerveaux contemplatifs de la patiente Germanie. Ma vie bruyante et dissipée m’éloignait d’un pareil examen. Mais Gottlieb et Zdenko fussent-ils les derniers disciples de la religion mystérieuse qu’Albert conservait comme un précieux talisman, je n’en sens pas moins que cette religion est la mienne, puisqu’elle proclame la future égalité entre tous les hommes et la future manifestation de la justice et de la bonté de Dieu sur la terre. Oh oui ! il faut que je croie à ce règne de Dieu annoncé aux hommes par le Christ ; il faut que je compte sur un bouleversement de ces iniques monarchies et de ces impures sociétés, pour ne pas douter de la Providence en me voyant ici !

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« De la prisonnière n° 2, aucune nouvelle. Si Mayer ne m’a pas fait un mensonge impudent en me rapportant