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les yeux à la vérité, me paraissait aussi et me paraît toujours une idée impie.

« Enfin, Jacques Bœhm me semble millénaire, c’est-à-dire partisan de la résurrection des justes et de leur séjour avec Jésus-Christ, sur une nouvelle terre, née de la dissolution de celle-ci, pendant mille ans d’un bonheur sans nuage et d’une sagesse sans voile ; après quoi viendra la réunion complète des âmes avec Dieu, et les récompenses de l’éternité, plus parfaites encore que le millenium. Je me souviens bien d’avoir entendu expliquer ce symbole par le comte Albert, lorsqu’il me racontait l’histoire orageuse de sa vieille Bohême et de ses chers taborites, lesquels étaient imbus de ces croyances renouvelées des premiers temps du christianisme. Albert croyait à tout cela dans un sens moins matériel, et sans se prononcer sur la durée de la résurrection ni sur le chiffre de l’âge futur du monde. Mais il pressentait et voyait prophétiquement une prochaine dissolution de la société humaine, devant faire place à une ère de rénovation sublime ; et Albert ne doutait pas que son âme, sortant des passagères étreintes de la mort, pour recommencer ici-bas une nouvelle série d’existences, ne fût appelée à contempler cette rémunération providentielle et ces jours, tour à tour terribles et magnifiques, promis aux efforts de la race humaine. Cette foi magnanime qui semblait monstrueuse aux orthodoxes de Riesenburg, et qui a passé en moi après m’avoir semblé d’abord si nouvelle et si étrange, c’est une foi de tous les temps et de tous les peuples ; et, malgré les efforts de l’Église romaine pour l’étouffer, ou malgré son impuissance pour l’éclaircir et la purifier du sens matériel et superstitieux, je vois bien qu’elle a rempli et enthousiasmé beaucoup d’âmes ardemment pieuses. On dit même que de grands saints l’ont eue. Je m’y livre donc sans remords et sans