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rotti, il faut que ce soit un homme prodigieusement érudit et doué d’une mémoire extraordinaire.

— Mieux que cela ! dit le roi. L’érudition ne suffit pas pour expliquer l’histoire. Il faut que cet homme ait une puissante intelligence et une profonde connaissance du cœur humain. Reste à savoir si cette belle organisation a été faussée par le travers de vouloir jouer un rôle bizarre, en s’attribuant une existence éternelle et la mémoire des événements antérieurs à sa vie humaine ; ou si, à la suite de longues études et de profondes méditations, le cerveau s’est dérangé, et s’est laissé frapper de monomanie.

— Je puis au moins, dit Pœlnitz, garantir à Votre Majesté la bonne foi et la modestie de notre homme. On ne le fait pas parler aisément des choses merveilleuses dont il croit avoir été témoin. Il sait qu’on l’a traité de rêveur et de charlatan, et il en paraît fort affecté ; car maintenant il refuse de s’expliquer sur sa puissance surnaturelle.

— Eh bien, Sire, est-ce que vous ne mourez pas d’envie de le voir et de l’entendre ? dit La Mettrie. Moi j’en grille.

— Comment pouvez-vous être curieux de cela ? reprit le roi. Le spectacle de la folie n’est rien moins que gai.

— Si c’est de la folie, d’accord ; mais si ce n’en est pas ?

— Entendez-vous, Messieurs, reprit Frédéric ; voici l’incrédule, l’athée par excellence, qui se prend au merveilleux, et qui croit déjà à l’existence éternelle de M. de Saint-Germain ! Au reste, cela ne doit pas étonner, quand on sait que La Mettrie a peur de la mort, du tonnerre et des revenants.

— Des revenants, je confesse que c’est une faiblesse, dit La Mettrie ; mais du tonnerre et de tout ce qui peut