Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
267

« — Pas un de plus, monsieur ; je désire rentrer chez moi, et je regrette d’en être sortie.

«  — Pardine ! vous faites bien la mijaurée ! comme si on ne savait pas un peu de vos aventures ! Vous pensiez donc que j’étais assez simple pour ne pas vous reconnaître quand vous arpentiez le Bœhmer-Wald avec un petit brun pas trop mal tourné ? À d’autres ! J’enlevais bien le jouvenceau pour les armées du roi de Prusse ; mais la jouvencelle n’eût pas été pour son nez ; oui-da ! quoiqu’on dise que vous avez été de son goût, et que c’est pour avoir essayé de vous en vanter que vous êtes venue ici ! Que voulez-vous ? La fortune a des caprices contre lesquels il est fort inutile de regimber. Vous voilà tombée de bien haut ! mais je vous conseille de ne pas faire la fière et de vous contenter de ce qui se présente. Je ne suis qu’un petit officier de place, mais je suis plus puissant ici qu’un roi que personne ne connaît et que personne ne craint, parce qu’il y commande de trop haut et de trop loin pour y être obéi. Vous voyez bien que j’ai le pouvoir d’éluder la consigne et d’adoucir vos arrêts. Ne soyez pas ingrate, et vous verrez que la protection d’un adjudant vaut à Spandaw autant que celle d’un roi à Berlin. Vous m’entendez ? Ne courez pas, ne criez pas, ne faites pas de folies. Ce serait du scandale en pure perte ; je dirai ce que je voudrai, et vous, on ne vous croira pas. Allons, je ne veux pas vous effrayer. Je suis d’un naturel doux et compatissant. Seulement, faites vos réflexions ; et quand je vous reverrai, rappelez-vous que je puis disposer de votre sort, vous jeter dans un cachot, ou vous entourer de distractions et d’amusements, vous faire mourir de faim sans qu’on m’en demande compte, ou vous faire évader sans qu’on me soupçonne ; réfléchissez, vous dis-je, je vous en laisse le temps… » Et comme je ne