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« — Je ne vous presse pas à ce point, reprit le nouvel adjudant. Vous me paraissez prendre plaisir à regarder la lune. Regardez-la donc tout à votre aise. Cela ne coûte rien, et ne fait de tort à personne. »

« J’eus l’imprudence de profiter encore un instant de la condescendance de ce drôle. Je ne pouvais pas me décider à m’arracher si vite au beau spectacle dont j’allais être privée peut-être pour toujours ; et malgré moi, le Mayer me faisait l’effet d’un méchant laquais trop honoré d’attendre mes ordres. Il profita de mon mépris pour s’enhardir à vouloir faire la conversation.

« — Savez-vous, signora, me dit-il, que vous chantez diablement bien ? Je n’ai rien entendu de plus fort en Italie, où j’ai pourtant suivi les meilleurs théâtres et passé en revue les premiers artistes. Où avez-vous débuté ? Depuis combien de temps courez-vous le pays ? Vous avez beaucoup voyagé ? »

« Et comme je feignais de ne pas entendre ses interrogations, il ajouta sans se décourager :

« — Vous voyagez quelquefois à pied, habillée en homme ? »

« Cette demande me fit tressaillir, et je me hâtai de répondre négativement. Mais il ajouta :

« Allons ! vous ne voulez pas en convenir ; mais moi, je n’oublie rien, et j’ai bien retrouvé dans ma mémoire une plaisante aventure que vous ne pouvez pas avoir oubliée non plus.

« — Je ne sais de quoi vous voulez parler, monsieur, repris-je en quittant les créneaux de la tour pour reprendre le chemin de ma cellule.

« — Un instant, un instant ! dit Mayer. Votre clef est dans ma poche, et vous ne pouvez pas rentrer comme cela sans que je vous reconduise. Permettez-moi donc, ma belle enfant, de vous dire deux mots…