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« — C’est sans doute au théâtre de Berlin, où j’ai chanté cet hiver.

« — Non ! j’étais en Silésie ; j’étais sous-adjudant à Glatz. Heureusement ce démon de Trenck a fait son équipée pendant que j’étais en tournée… je veux dire en mission, sur les frontières de la Saxe : autrement je n’aurais pas eu d’avancement, et je ne serais pas ici, où je me trouve très-bien à cause de la proximité de Berlin ; car c’est une bien triste vie, mademoiselle, que celle d’un officier de place. Vous ne pouvez pas vous figurer comme on s’ennuie, quand on est loin d’une grande ville, dans un pays perdu ; pour moi qui aime la musique de passion… Mais où diantre ai-je donc eu le plaisir de vous rencontrer ?

« — Je ne me rappelle pas, monsieur, avoir jamais eu cet honneur.

« — Je vous aurai vue sur quelque théâtre, en Italie ou à Vienne… Vous avez beaucoup voyagé ? combien avez-vous fait de théâtres ? »

« Et comme je ne lui répondais pas, il reprit avec son insouciance effrontée : — N’importe ! cela me reviendra. Que vous disais-je ? ah vous ennuyez-vous aussi, vous ?

« — Non, monsieur.

« — Mais est-ce que vous n’êtes pas au secret ? c’est bien vous qu’on appelle la Porporina ?

« — Oui, monsieur.

« — C’est cela ! prisonnière n° 3. Eh bien, vous ne désirez pas un peu de distraction ? de la société ?

« — Nullement, monsieur, répondis-je avec empressement, pensant qu’il allait me proposer la sienne.

« — Comme il vous plaira. C’est dommage. Il y a ici une autre prisonnière fort bien élevée… une femme charmante, ma foi, qui, j’en suis sûr, eût été enchantée de faire connaissance avec vous.