Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
259

vine avec qui, ami Beppo ? Avec le gracieux et féroce recruteur que nous avons si mal à propos rencontré dans les sentiers du Bœhmer-Wald, il y a deux ans, avec M. Mayer en personne. Je ne pouvais plus le méconnaître ; sauf qu’il a pris encore plus d’embonpoint, c’est le même homme, avec son air avenant, sans façon, son regard faux, sa perfide bonhomie, et son broum, broum éternel, comme s’il faisait une étude de trompette avec sa bouche. De la musique militaire, il avait passé dans la fourniture de chair à canon ; et de là, pour récompense de ses loyaux et honorables services, le voilà officier de place, ou plutôt geôlier militaire, ce qui, après tout, lui convient aussi bien que le métier de geôlier ambulant dont il s’acquittait avec tant de grâce.

« — Mademoiselle, m’a-t-il dit en français, je suis votre humble serviteur ! Vous avez là pour vous promener une petite plate-forme tout à fait gentille ! de l’air, de l’espace, une belle vue ! Je vous en fais mon compliment. Il me paraît que vous la passez douce en prison ! avec cela qu’il fait un temps magnifique, et qu’il y a vraiment du plaisir à être à Spandaw par un si beau soleil, broum ! broum ! »

« Ces insolentes railleries me causaient un tel dégoût, que je ne lui répondais pas. Il n’en fut pas déconcerté, et reprenant la parole en italien :

« — Je vous demande pardon ; je vous parlais une langue que vous n’entendez peut-être point. J’oubliais que vous êtes Italienne, cantatrice italienne, n’est-ce pas ? une voix superbe, à ce qu’on dit. Tel que vous me voyez, je suis un mélomane renforcé. Aussi je me sens disposé à rendre votre existence aussi agréable que me le permettra ma consigne. Ah çà, où diable ai-je eu le bonheur de vous voir ? Je connais votre figure… mais parfaitement, d’honneur !