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zèle naïf, m’avoir rendu cette visite nocturne plus qu’inconvenante. Je lui ai demandé s’il ne s’était pas relevé, et s’il n’était pas venu écouter à ma porte. Il m’a assuré n’avoir pas bougé, et j’en suis persuadée maintenant. Il faut que l’endroit où il couche soit situé de façon à ce que, de ma chambre, je l’entende respirer et gémir par quelque fissure de la muraille, par la cachette où je mets mon argent et mon journal, peut-être. Qui sait si cette ouverture ne communique pas, par une coulée invisible, à celle où Gottlieb met aussi ses trésors, son livre et ses outils de cordonnier, dans la cheminée de la cuisine ? J’ai du moins en ceci un rapport bien particulier avec Gottlieb, puisque tous deux nous avons, comme les rats ou les chauves-souris, un méchant nid dans un trou de mur, où toutes nos richesses sont enfouies à l’ombre. J’allais risquer quelques interrogations là-dessus, lorsque j’ai vu sortir du logis des Schwartz et s’avancer sur l’esplanade un personnage que je n’avais pas encore vu ici, et dont l’aspect m’a causé une terreur incroyable, bien que je ne fusse pas encore sûre de ne pas me tromper sur son compte.

« — Qu’est-ce que cet homme-là ? ai-je demandé à Gottlieb à demi-voix.

« — Ce n’est rien de bon, m’a-t-il répondu de même. C’est le nouvel adjudant. Voyez comme Belzébuth fait le gros dos en se frottant contre ses jambes ! Ils se connaissent bien, allez !

« — Mais comment s’appelle-t-il ? »

« Gottlieb allait me répondre, lorsque l’adjudant lui dit d’une voix douce et avec un sourire bienveillant, en lui montrant la cuisine : « Jeune homme, on vous demande là-dedans. Votre père vous appelle. »

« Ce n’était qu’un prétexte pour être seul avec moi, et Gottlieb s’étant éloigné, je me trouvai face à face… de-