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Schwartz. Mais elle est au secret comme moi. Elle ne sort jamais. Elle est souvent malade. Voilà tout ce que j’ai pu arracher. Gottlieb n’a qu’à écouter le caquet de ses parents pour en savoir davantage, car on ne se gêne pas devant lui. Il m’a promis d’écouter, et de me dire depuis combien de temps cette Amélie est ici. Quant à son nom, il paraîtrait que les Schwartz l’ignorent. Pourraient-ils l’ignorer, si c’était l’abbesse de Quedlimbourg ? Le roi aurait-il mis sa sœur en prison ? On y met les princesses comme les autres, et plus que les autres. La jeune baronne de Rudolstadt… Pourquoi serait-elle ici ? De quel droit Frédéric l’aurait-il privée de sa liberté ? Allons ! c’est une curiosité de recluse qui me travaille, et mes commentaires, sur un simple prénom, sont aussi d’une imagination oisive et peu saine. N’importe : j’aurai une montagne sur le cœur tant que je ne saurai pas quelle est cette compagne d’infortune qui porte un nom si émouvant pour moi. »

Le 1er mai. — « Plusieurs jours se sont passés sans que j’aie pu écrire. Divers événements ont rempli cet intervalle ; je me hâte de le combler en vous les racontant.

« D’abord j’ai été malade. De temps en temps, depuis que je suis ici, je ressens les atteintes d’une fièvre au cerveau qui ressemble en petit à ce que j’ai éprouvé en grand au château des Géants, après avoir été dans le souterrain à la recherche d’Albert. J’ai des insomnies cruelles, entrecoupées de rêves durant lesquels je ne saurais dire si je veille ou si je dors ; et dans ces moments-là, il me semble toujours entendre ce terrible violon jouant ses vieux airs bohémiens, ses cantiques et ses chants de guerre. Cela me fait bien du mal, et pourtant quand cette imagination commence à s’emparer de moi, je ne puis me défendre de prêter l’oreille, et de recueillir