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du peu de jour qui m’arrive et que me dispute le vilain grillage. Même le lierre menace de m’envahir et de me plonger dans l’obscurité ; mais je n’ose encore en arracher une seule feuille ; ce lierre vit, il est libre dans sa nature d’existence. Le contrarier, le mutiler ! Il faudra pourtant bien s’y résoudre. Il ressent l’influence du mois d’avril, il se hâte de grandir, il s’étend, il s’accroche de tous côtés ; il a ses racines scellées dans la pierre ; mais il monte, il cherche l’air et le soleil. La pauvre pensée humaine en fait autant. Je comprends maintenant qu’il y ait eu jadis des plantes sacrées… des oiseaux sacrés… Le rouge-gorge est venu aussitôt, et il s’est posé sur mon épaule sans plus de façon ; puis il s’est mis, selon sa coutume, à regarder tout, à toucher à tout ; pauvre être ! il y a si peu de chose ici pour l’amuser ! Et pourtant il est libre, il peut habiter les champs, et il préfère la prison, son vieux lierre et ma triste cellule. M’aimerait-il ? non. Il a chaud dans ma chambre, et il prend goût à mes miettes de pain. Je suis effrayée maintenant de l’avoir si bien apprivoisé. S’il allait entrer dans la cuisine de Schwartz et devenir la proie de son vilain chat ! Ma sollicitude lui causerait cette mort affreuse… Être déchiré, dévoré par une bête féroce ! Et que faisons-nous donc, nous autres faibles humains, cœurs sans détours et sans défense, sinon d’être torturés et détruits par des êtres sans pitié qui nous font sentir en nous tuant lentement, leurs griffes et leur dent cruelle !

« Le soleil s’est levé clair, et ma cellule était presque couleur de rose, comme autrefois ma chambre de la Corte-Minelli quand le soleil de Venise… mais il ne faut pas penser à ce soleil-là ; il ne se lèvera plus sur ma tête. Puissiez-vous, ô mes amis, saluer pour moi la riante Italie, et les cieux immenses, et il firmamento lucido… que je ne reverrai sans doute plus.