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le dévouement, ou tout au moins l’indifférence et la passion, c’est là l’éternel hyménée des êtres. Anzoleto, tu ne m’as pas aimée… Et toi, Albert, qui m’aimais tant, je t’ai laissé mourir… Me voilà réduite à aimer un rouge-gorge ! et je me plaindrais de n’avoir pas mérité mon sort ! Vous croyez peut-être, mes amis, que j’ose plaisanter sur un pareil sujet ! Non. Ma tête s’égare peut-être dans la solitude ; mon cœur, privé d’affections, se consume, et ce papier est trempé de mes larmes.

« Je m’étais promis de ne pas le gaspiller, ce précieux papier ; et voilà que je le couvre de puérilités. J’y trouve un grand soulagement, et ne puis m’en défendre. Il a plu toute la journée. Je n’ai pas revu Gottlieb ; je ne me suis pas promenée. J’ai été occupée du rouge-gorge tout ce temps, et cet enfantillage a fini par m’attrister étrangement. Quand l’oiseau espiègle et inconstant a cherché à me quitter en becquetant la vitre, je lui ai cédé. J’ai ouvert la fenêtre par un sentiment de respect pour la sainte liberté que les hommes ne craignent pas de ravir à leurs semblables : mais j’ai été blessée de cet abandon momentané, comme si cette bête me devait quelque chose pour tant de soins et d’amour. Je crois bien que je deviens folle, et qu’avant peu je comprendrai parfaitement les divagations de Gottlieb. »

Le 9. — « Qu’ai-je appris ? ou plutôt qu’ai-je cru apprendre ? car je ne sais rien encore ; mais mon imagination travaille énormément.

« D’abord j’ai découvert l’auteur des billets mystérieux. C’est le dernier que j’eusse imaginé. Mais ce n’est déjà plus de cela que je songe à m’émerveiller. N’importe, je vous raconterai toute cette journée.

« Dès le matin, j’ai ouvert ma petite fenêtre composée d’un seul carreau de vitre assez grand, assez clair, grâce à la propreté avec laquelle je l’essuie pour ne rien perdre