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« Le 8. — Troisième billet sur ma fenêtre.

« Chère sœur, la plate-forme est isolée ; mais l’escalier qui y monte communique avec un autre corps de bâtiment au bout duquel se trouve l’appartement d’une dame qui est prisonnière comme toi. Son nom est un mystère, mais le rouge-gorge te le dira si tu l’interroges. Voilà, au reste, ce que tu voulais savoir du pauvre Gottlieb, et ce qu’il ne pouvait t’apprendre. »

« Quel est donc cet ami qui sait, qui voit, qui entend tout ce que je fais et tout ce que je dis ? Je m’y perds. Il est donc invisible ? Tout cela me paraît si merveilleux que je m’en amuse sérieusement. Il me semble que, comme dans mon enfance, je vis au milieu d’un conte de fées, et que mon rouge-gorge va parler tout d’un coup. Mais s’il est vrai de dire de ce charmant petit lutin qu’il ne lui manque que la parole, il n’est que trop certain qu’elle lui manque absolument, ou que je ne puis comprendre son langage. Le voilà tout à fait habitué à moi. Il entre dans ma chambre, il en sort, il y revient, il est chez lui. Je remue, je marche, il ne s’enfuit plus qu’à la portée du bras, et il revient aussitôt. S’il aimait beaucoup le pain, il m’aimerait davantage, car je ne puis me faire illusion sur la cause de son attachement pour moi. C’est la faim, et un peu aussi le besoin et le désir de se réchauffer à mon poêle. Si je peux réussir à attraper une mouche (elles sont encore si rares !), je suis certaine qu’il viendra la prendre dans mes doigts ; car déjà il examine de très-près les morceaux que je lui présente, et si la tentation était plus forte, il mettrait de côté toute cérémonie. Je me souviens maintenant d’avoir entendu dire à Albert qu’il ne fallait, pour apprivoiser les animaux les plus craintifs, pour peu qu’ils eussent une étincelle d’intelligence, que quelques heures d’une patience à toute épreuve. Il avait rencontré une zingara, prétendue sor-